mardi 3 janvier 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret
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L’INTRODUCTION AU NÉANT
Antonin Artaud, Cahiers d’Ivry, tomes 1 et 2, Gallimard
À Ivry Artaud se voue encore à l’aridité du papier afin de courir le risque d’une révélation terrible mais attendue. Les « Cahiers » finissent donc le travail entamé avec les Cenci. Il s’agit de débarrasser la matrice de la tache de naissance, des vices de la chair et de l’esclavage qu’elle enclenche.
Comme l’écrit Marcelin Pleynet, grâce aux Cahiers la « matrice est remise à sa place », elle est lavée - de (presque) tout soupçon - mais il faut aller encore plus loin. Les Cahiers d’Ivry plient les dernières scènes (tragiques et fulgurantes) du « théâtre généralisé » de l’auteur. Ils sont la véritable introduction au néant.
Avec les « Cahiers d’Ivry » la mort n’est plus tenue à distance. On sent déjà comment la terre aspire l’être dont elle se nourrit jusqu’aux « crachats ». En ces notes ultimes Artaud rentre directement en rapport avec les semences immondes qui ne sont que restes et cendres.
À l’inverse de l’expérience retracée dans les « Lettres relatives aux Tarahumaras », il vit - ou subit l’existence - sous un registre totalement opposé une « expérience organique ». L’expression « la terre qui est mon corps » n’est plus une métaphore. Et celui qui s’écria dans les Tarahumaras : « Je suis retourné à la terre », retrouve ici ce chemin qu’il ne quittera plus.
« Tout est présent en moi sans voyage et sans retour » écrit Artaud. Il se sent plus que jamais pris dans « les mâchoires d’un carcan ». Il n’a plus besoin de faire appel - comme il le tenta - à la prière de Mathieu dans le Nouveau Testament : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation ». La tabula rasa est dressée.
Artaud espère-t-il encore que mourir ne serait pas « tomber au néant mais à raffiner l’être de l’être », comme il l’écrivait dans « Supports et Supplications » ? Peu probable. Celui qui affirmait « Je n’ai jamais cherché que le réel » (Nouveaux écrits de Rodez, XX) se sait en voie de « perdre la viande » même s’il ne lui en restait que fort peu…
Les Cahiers d’Ivry deviennent en conséquence le texte testament où l’œuvre se retourne sur elle-même. Il s’agit d’une l’ultime transgression au crépuscule. Dans ces deux tomes tout se confirme, à savoir tout finit - sauf pour l’œuvre. Son reste est pépite d’une douleur utérine, affres d’affres des agonies.
Demeurent l’attente, la descente plus longue que celle d’un Jésus-Christ « qui est allé chercher chez les hommes un utérus dont je n’aurais su que faire ». Le cri remplace le Christ et c’est là l’essentiel. Jusqu’au bout l’auteur des Cenci demeure irrécupérable. Et il est à parier que l’ensemble des Cahiers (ils commencent avec le tome XV des Œuvres complètes) resteront comme la partie la plus génialement forte de l’ensemble du corpus de l’auteur.
Jean-Paul Gavard-Perret.
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