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Les loyautés - Delphine De Vigan

Editions JC Lattès, 2018

mercredi 2 janvier 2019 par Alice Granger

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Mon impression, en refermant ce roman de Delphine De Vigan, « Les Loyautés » après l’avoir entièrement lu, est celle d’une surdité de la société à l’égard de ce qui se passe dans la cellule sacralisée de la famille, à l’image de l’indifférence des enseignants, dans ce livre, au malaise de certains enfants qui ne réussissent pas à le masquer, tandis qu’une enseignante, elle, y est hypersensible. L’écriture de Delphine De Vigan se nourrit, dans ce roman, de ça, et laisse fuser le manque absolu de décision humaine afin de rompre l’omertà.

Ces loyautés assumées par l’auteure, tout en ne cessant, avec une empathie venue du cœur blessé de soi, de tourner autour de cette profonde détresse de Théo, élève de treize ans, et, à partir d’elle, autour des malentendus dans les couples qui prennent en otage les enfants, tout en tendant l’oreille jusqu’au bout pour recueillir l’impasse dans l’écriture, laissent béante la grande question de savoir si notre société ne pourrait pas inventer que la responsabilité de l’enfance se construise en dehors du huis-clos, que l’on voit si toxique, de la famille et de la guerre des sexes qui s’y joue, où la question de la virilité est mise à rude épreuve tandis que la mère en sa fonction éternelle évite de s’apercevoir que cette fonction pleine est intenable en fantasmant qu’un homme fort doit la partager. Même si le livre se conclut sur le sauvetage in extrémis de Théo, grâce à cette enseignante qui avait été tout de suite hypersensible au grand malaise de cet élève parce qu’elle-même avait vécu quelque chose de semblable pendant son enfance, d’où une loyauté envers le garçon qu’elle sent être maltraité parce que c’est aussi une loyauté envers l’enfant qu’elle fut.

Pourtant, avec cette femme pas dans la norme, cette enseignante qui n’est devenue ni mère ni épouse, habitée de cette sensibilité blessée qui la fit être à l’écoute du malaise extrême de Théo, en cours, cela aurait pu déboucher sur quelque chose de nouveau, une vision très audacieuse d’une autre sorte de maternité, par exemple. Car cette femme ni mère ni épouse est pourtant celle qui, seule, est capable d’écouter, par une loyauté qui est une sensibilité au malaise des autres, ce Théo qui sombre et ne trouve d’issue que par le coma éthylique, cet élève si profondément dérangé dans son identité de garçon. L’écriture de Delphine de Vigan montre avec une précision chirurgicale la seule possibilité de survie, cette nouvelle maternité qu’invente par ses loyautés l’enseignante, celle du dehors, mais sans oser vraiment développer sa vision nouvelle !

Elle ose par exemple cette vraie trouvaille : une famille comme association de malfaiteurs ! Pas du tout celle que l’on imagine propice à l’enfant ! D’où cette pensée, qui ne se dit pas : les enfants devraient être élevés hors de cette association de malfaiteurs ! Autrement ! Accueillis dans une maternité ouverte du dehors. Dans la responsabilité collective qui s’organiserait dans la conscience sans hypocrisie du caractère toxique de ce qui règne au sein des couples et dans le huis-clos des familles comme guerre des sexes, depuis par exemple le poste d’observation d’un lycée.

Delphine De Vigan exploite parfaitement la situation sans issue d’un couple séparé, les parents de Théo, où la mère hait le père et ne lui parle plus, où même la garde partagée du fils ne fait plus le lien entre eux puisque lorsque le garçon de treize ans revient de chez son père il doit prendre une douche et changer de vêtements afin que pas même l’odeur de l’homme détesté ne subsiste. Ce père, évidemment, est un homme déchu, au chômage, qui décroche peu à peu, ne se lave plus, transforme son appartement en taudis plein de déchets, de choses sales. On sent que tombe sur cet homme tout le mépris vengeur d’une femme qui hait l’homme pas à la hauteur dans le couple et dans la famille, et qu’il devient ce déchet humain. Théo, un garçon, semble vivre de plein fouet cet échec du père à être fort, viril, à la hauteur au sein de la famille. Parce qu’il est lui-même un garçon, il reste solidaire de son père en ne le dénonçant jamais, pas même à sa mère lorsqu’il revient de chez son père, celle-ci ignore qu’il vit au fond du trou, comme un clochard qui n’a plus rien. Comme pour ne pas lâcher ce père jeté plus bas que terre par cette femme, sa mère, qui elle assure comme plus virilement, Théo boit en cachette, au lycée, avec son ami Mathis, derrière une armoire, pour oublier. Aussi, on dirait, pour que sa mère ne gagne pas sur son père en mettant de son côté à elle son fils ! Déchiré entre sa mère et son père, Théo ne se désolidarise pas de ce père, face à la femme qui met tellement à mal sa virilité, lorsque le chômage a frappé ! La détresse qui le fait aller jusqu’au coma éthylique semble chercher à faire entendre combien la cellule familiale normale fait peser un poids non assumable sur les épaules de ce père dont la fragile virilité ne résiste pas à la blessure de la perte du travail. La femme, elle, semble tellement plus dure, plus impitoyable, plus sadique. Ceci sans se préoccuper le moins du monde de l’intérêt de son fils, dont elle ne soupçonne pas la détresse ! Sa haine de l’homme pas à la hauteur la rend aveugle à la souffrance de Théo ! Et ce que Delphine De Vigan nous fait entendre à travers ce personnage de la mère de Théo, c’est qu’une femme compte sur l’homme fort pour être la mère à la hauteur ! Et pas question pour elle, avec la séparation, de vérifier si tout va bien pour son fils ! S’il ne va pas bien, c’est la faute du père, forcément il n’assume pas, et pourtant sa haine va jusqu’à ne jamais se préoccuper des conséquences désastreuses pour Théo ! Preuve éclatante que l’enfant devrait être élevé ailleurs que dans le huis-clos familial toxique, devenu dans ce cas un entre-deux haineux plein de vengeance destructrice ! Aussi pour que l’image de chacun de ses deux parents ne soit pas endommagée par l’impossible charge à assumer, qui fait tomber la haine sur l’autre déficient !

Le couple des parents de Mathis, ami de Théo qui boit de l’alcool avec lui, est aussi très représentatif. Autant celui des parents de Théo oriente le projecteur de l’écriture sur un couple où l’homme au chômage déchoit aux yeux de sa femme, ce qui précipite la séparation, et montre les ravages sur l’homme et son fils provoqués par la haine presque homicide de la femme qui n’accepte pas la faillite de la virilité mettant en question le cocon familial, autant celui des parents de Mathis met en scène un homme qui assure, qui est d’un milieu privilégié, qui est très bien éduqué. Ce qui cloche dans ce deuxième couple, c’est que l’épouse et mère de Mathis ne travaille pas, elle n’a pas besoin, mais elle vient d’en bas. Son mari a honte d’elle, surveille son langage, a peur qu’elle laisse apparaître son manque d’éducation, ce qui par ricochet attaquerait la virilité du mari. Ici, c’est la femme, non pas l’homme, qui est blessée. Mais cette femme moins que l’homme père de Théo. Car elle peut se venger en découvrant la faille dans la si belle image de son mari. Toujours une vengeance de femme, en fin de compte. Un jour elle découvre que son mari fréquente les réseaux sociaux, les blogs, et qu’il y laisse des commentaires très orduriers, qui ne collent pas du tout avec sa si bonne éducation. Bien sûr, ce qu’il y dit des femmes choque son épouse. Delphine De Vigan esquisse le départ de cette femme, emmenant son fils avec elle. Là encore, pas vraiment d’écoute, de la part de cette femme, du poids écrasant de la virilité mis sur les épaules des hommes afin d’assumer une famille, un milieu, un confort. Elle part en vidant les placards, et emmenant son fils. Afin de démontrer que c’est elle, une femme, pourtant venue d’en bas, qui est inattaquable ?

L’enseignante, elle, sans enfant ni mari, si elle n’a pu éviter à Théo d’aller frôler la mort parce que tout le collège est lui aussi resté sourd à la détresse de cet élève alors qu’elle avait tout fait pour la faire entendre, semble avoir réussi à le sauver, envoyant les pompiers. Cependant, l’association de malfaiteurs qu’est le couple en charge d’un garçon, si elle est mise à jour par cette trouvaille, ne débouche pas encore sur l’impératif, qui serait si audacieux, d’envisager tout autrement la responsabilité des enfants, si la charge de famille est en vérité si dure à assumer et fait régner la haine entre homme et femme en mettant à mal la virilité. Ce livre, en même temps que l’écriture suit le fil d’une détresse de garçon de treize ans, oriente son projecteur sur le poids qui pèse sur les épaules des hommes en charge de famille, et sous le regard qui peut être sans pitié des femmes. Le père de Théo devient sous ce regard un déchet. Le père de Mathis devient derrière l’homme de bonne famille qui assume parfaitement la famille qu’il a reproduite l’homme grossier qui a l’air de s’échapper d’un rôle trop dur à assumer et de le couvrir d’injures qui le montre déchu. Et les enfants, dans tout ça ? Les garçons, par exemple, Théo, Mathis, de plein fouet atteints par ce jugement sur la virilité de leur père respectif chef déchu de famille ? Il est comme par hasard aussi question du père de cette enseignante sensible à la détresse de Théo, et qui le sauve !

L’air de rien, dans le blanc même que l’écriture laisse quant à l’invention d’une toute autre organisation de la sexualité et de la responsabilité des enfants qui renouvellent l’humanité, ce livre de Delphine De Vigan, « Les loyautés », pose quand même la question de que faire, afin que se dénoue l’association de malfaiteurs.

Alice Granger Guitard



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