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Désir - Philippe Sollers

Editions Gallimard, 2020

samedi 23 mai 2020 par Alice Granger

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Le Philosophe Inconnu, qui a été au dix-huitième siècle un des penseurs importants de l’Illuminisme européen, devient le personnage central de ce roman de Philippe Sollers, en continuant à vivre des vies multiples à travers les siècles, par exemple Rimbaud, Balzac, Baudelaire, Haydn, Mozart, et bien sûr Sollers. Il semble pouvoir passer de vie en vie, depuis ce dix-huitième siècle, parce qu’une illumination fondatrice lui ayant fait connaître concentrée en un instant tout le plaisir et toute la beauté, plus rien ne peut l’arrêter, comme s’il était déjà mort, et va vers la résurrection de cette unique illumination.
L’Homme de désir est, écrit-il, d’abord un homme de l’instant, capable de vivre à la seconde près. Pour lui, l’Illumination est un rapt foudroyant au bord du sommeil, il n’y a plus de corps, et c’est une montée au Ciel impossible. A noter cet impossible ! L’Illumination se renouvelle, mais en même temps, elle a lieu une fois pour toutes. Ensuite, le feu revient. Le Philosophe inconnu, dans une de ses vies, est initié très tôt par sa mère, ce qui est, écrit Sollers, une pratique courante dans l’aristocratie française du dix-huitième siècle, même si on n’en parlait pas. Voilà l’Illumination ! Liée à cette sorte de mère. Le Désir ne peut que rester Désir, après l’Illumination ! « L’Illumination écrase le temps, et le fait bouillonner. Sans elle, la vie serait une routine, mais, grâce à elle, le désir reste désir, au cœur d’une possibilité toujours révolutionnaire ». Avec cette mère, « tout s’est passé naturellement, une nuit d’été, à la campagne. Ils sont seuls, elle a 35 ans, lui 15. Elle n’arrive pas à s’endormir, et lui propose de venir dans son lit. Elle sait qu’il bande, elle se serre contre lui, le reste s’ensuit. Pas un mot par la suite, mais il ne jouira jamais aussi bien de toute sa vie ». Et Rimbaud avait écrit : « Donc tu te dégages / Des humains suffrages, / Des communs élans, / Tu voles selon… » Bien sûr, un tel éblouissement ne peut ensuite que pousser à se dégager des communs élans. Et le Philosophe inconnu bien sûr ne va pas souvent au cinéma, il attend « tranquillement l’effondrement général de la planète, dans un grand appartement de Venise, bien dissimulé près de la Salute, bourré de livres et de CD ». On imagine qu’il est à Venise avec son étoile fixe, Dominique Rolin.
Le philosophe pense qu’il est un innocent tombé dans un monde coupable, ayant la conviction d’avoir un ange gardien. Qui est par exemple une femme philosophe, avec laquelle il a contacté un mariage d’amour. Ayant écrit ensemble un livre ayant pour titre : « Du mariage considéré comme un des Beaux-Arts ». Ils se sont merveilleusement entendus.
Le philosophe inconnu n’est plus dans la représentation, mais dans la transformation subtile. On sent le Docteur subtil. Duns Scot. L’eccéité. Il sera ce qu’il sera.
Le Philosophe inconnu a rencontré Perséphone un jour de mai mémorable et il a tout de suite compris qu’elle faisait partie de ses plans. « Elle l’a légèrement touché au front, en lui offrant une rose de rêve. Il la garde précieusement, comme preuve de son illumination. Cette fleur s’appelle Désir. Elle ne meurt pas, elle règne ».
Perséphone. « Je vois un soleil noir d’où rayonne la nuit » ! » Le Philosophe inconnu est sous son Portique, attendant de ressusciter. Alors, se recomposant peu à peu tout en restant le même, il rentre dans son passé, retrouve des lieux, des aventures, des voyages en Europe, des nuits d’amour. Chaque fois, les femmes, montant des Enfers, sont conduites par Perséphone. « Ce sont les mères du futur, qui n’ont retenu, de toutes les saloperies du passé, qu’un surcroît de douceur. Ne leur parlez pas de sexualité, cette vieillerie de l’Ancien Monde. Laissez-vous envelopper par leur magnifique frigidité ». Perséphone est « coincée entre sa mère et son père, qui se fait passer pour son oncle. Son père la viole aux Enfers, sa mère l’étouffe sur terre. Vous la prenez à part, vous approuvez son clito, elle vous sera éternellement reconnaissante ». « Tout cela est ensoleillé, vibrant, enfantin, unique, dans un contexte férocement aplati ».
Pour le Philosophe inconnu, on entre dans l’ère clitocratique, « pleine de surprises et de révélations », tandis que le « réglage technique de la procréation est contemporain d’une catastrophe climatique ». Séquence révolutionnaire masquée par « un épais brouillard artificiel ». Et alors, les « reines de la transition clitocratique sont, bien entendu, les Chinoises. » Si on leur a bandé les pieds pendant des siècles, maintenant elles courent, volent, s’envolent par-dessus les tours, « la moitié du ciel leur appartient, et, bientôt, le ciel tout entier », en silence, comme une marée.
En ayant, par la lecture de ce roman de Philippe Sollers, des nouvelles du Philosophe inconnu, je ne peux m’empêcher de penser à mon illumination à moi, dans l’enfance, lorsque soudain, à l’improviste, la présence se manifestait, j’entendais le silence en même temps que je sentais une joie infinie à sentir ma liberté, celle du corps et celle de l’intellect. Je savais que je devais cela, cette certitude que personne ne me prenait la tête, ne me prenait mon corps pour s’en faire un objet, à celui qui me parlait si subtilement par le silence, et qui était le largueur d’amarres, l’Inconnu.

Alice Granger Guitard



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