Jean-Marie Rohé découpe son recueil en chapitres qu’il chapeaute à chaque fois d’une citation finement choisie et ciselée. Pour "Questionner l’avenir", il invite Victor Hugo et le cite "L’avenir est une porte, le passé en est la clé" et chaque phrase mise en exergue est en effet une clé qui nous invite à entrer dans la lumière du poème. L’on y savoure "un nuage de lait" dans notre tasse de thé car "il invitera tout le ciel dans notre tasse."
L’on songe à Sylvia Plath qui voyait "l’infini dans un grain de sable" quand le poète nous confie "le temps/ écrit l’histoire d’un battement de cils". Philosophe, l’auteur nous délivre des vers d’une clairvoyance aveuglante : "Nous en conclûmes que vieillir/ dans un miroir, mérite réflexion". L’humour, le dérisoire, voire l’autodérision sont au rendez-vous dans cette poésie qui se réinvente à chaque page pour nous prendre à témoin et nous interpeller "Pourquoi voudriez-vous/ que j’en veuille à la mort ?" La mort accompagne le poète dans cette "toile éphémère des souvenirs" qui, paradoxalement, soulève sous les mots "des quartiers de lumière" et d’ajouter "la feuille blanche révèle tant de songes".
"La poésie est une rêverie qui s’écrit", nous affirmait le philosophe Gaston Bachelard, Jean-Marie Rohé illustre parfaitement cette définition car sa "rêverie" s’insère dans le réel et prolonge son regard qu’il transcende par la beauté de son écriture. Il nous dit vouloir "...croire aux ruissellements/ des fleurs dans le regard des poètes". Cette poésie de la joie et de la lumière évoque le bonheur d’être au monde, elle fête la femme aimée et "la gratuité du rire ensemble" mais dans ces "Lézardes du silence", l’on perçoit les ombres de nos angoisses souterraines "Souffrances, peurs, naufrages,/ appuient leurs dos meurtris/ aux parois de nos silences" et d’évoquer le génocide du Rwanda ou encore l’assassinat de Samuel Paty. Mais toujours, le poète se tourne vers la lumière, celle que lui confère l’amour partagé, celle de "Vivre demain"...Se ressouvenir, c’est bien évidemment se tenir sur "Le seuil", celui d’un entre-deux où se rencontrent notre origine et notre finitude. Jean-Marie Rohé écrit "sur cette corde invisible du seuil" pour nous en octroyer des fragments lumineux extraits par l’âme, le coeur et l’esprit dans ces "Lézardes du silence" où le poète aventureux se hasarde pour "courir les étoiles"...

Françoise Urban-Menninger