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Le murmure - Christian Bobin

Editions Gallimard -2024

samedi 30 mars 2024 par Alice Granger

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Cette œuvre, Christian Bobin l’écrit alors qu’il va mourir, et il la dédie à Lydie, la femme qu’il aime. A la dernière page il écrit : « je te retrouverai TOI. Nous tourbillonnerons dans la lumière ». Et il explique ce qu’est le murmure. C’est une « passe », celle du vol magique des étourneaux qui, lorsqu’ils rencontrent un obstacle, scindent en deux cette « masse de grâce », sans se heurter, et recomposent leur amitié après avoir franchi l’épreuve. Lorsque Lydie mourra à son tour, leur amour se recomposera dans le ciel rouge. Et « Dieu n’éteindra jamais nos yeux qui voyaient », puisque nous « serons deux enfants réenfantés ». Puisque cette dernière œuvre, écrite jusqu’au dernier souffle, il la laisse dans la bibliothèque, pour qu’elle s’ensemence dans deux vies nouvelles, celle d’un garçon, celle d’une fille, qui pourront nourris de poésie s’envoler tels des oiseaux libres, en reprenant le flambeau de la vie à eux transmis ? Et alors, en consentant à cet acte de transmission, « Quelqu’un s’en va, nous quitte, s’embellit de nous échapper ». Et il évoque la jouissance des saints. Il écrit comme on s’absente.
Il pense au premier amour. Il arrive au jugement : n’avoir pas compris son départ, à sa mort, c’était une bénédiction. Alors, il n’avait que son cœur pour traverser la vie. Une valise de réfugié, qui était cadenassée à la naissance. Il pense à une sonate de Schubert, qui pour lui « est une petite bête sauvage prise au piège », et s’il ne comprend rien, dit-il, à cette musique, c’est bien, il a ainsi l’impression que Schubert a inventé « une musique plus longue que la vie ». Voilà, Christian Bobin est habité par la question de comment la vie peut-être plus grande qu’elle-même.
Il est dans sa chambre d’hôpital, écrivant les dernières pages, sa chambre est constellée d’yeux sauvages, et il édifie « une digue de silence comme il s’en trouve dans le prolongement des mains de Sokolov quand elles s’envolent ». Il fait le portrait de cet humain musicien, qui donne des notes, et « plus précisément des notes de silence », et il évoque ces failles et la « formation spirituelle inconnue ». Christian Bobin, prêt à l’envol infini, donne encore son témoignage le plus poétique : pour être neuf, il épuise tout ce qu’il possède, au seuil du grand voyage, il semble s’ouvrir à l’inconnu d’une naissance. Et, en écrivant, en laissant ce témoignage, il est en effet dans une vie plus grande qu’elle-même, tandis qu’il écrit « pour vous rejoindre, mes frères et sœurs du monde analphabète du rêve ». Et il ajoute : « ne suis-je pas, en écrivant, à un pas du paradis » ? « Si ce livre devait être le dernier, alors il faudrait qu’il soit le plus jeune de tous ceux que j’ai écrits ».
Comme Sokolov, il ne veut pas d’applaudissements. Il veut le silence, preuve que l’oisillon s’est bien envolé, un bébé pivert par exemple, alors qu’il avait cherché « la formule d’un salut » en écoutant les notes de Haydn jouées par Sokolov. Ce bébé pivert, dit Bobin, avait « traversé tous les déserts de l’abandon », comme les humains qui passent leur vie à attendre quelque chose de mieux que cette vie, qui emmènerait loin d’ici. Comme ces notes, et ensuite le silence de l’envol tandis que la transmission s’est faite, et que celui qui en a fait don ne veut pas d’applaudissement. Christian Bobin témoigne de la qualité de son attention poétique aux choses : « l’électrique attention du nouveau-né ». Il écrit un livre de guerre. « Pas pour faire des morts, mais pour faire des vivants ». C’est-à-dire des poètes, mais pas des faussaires de la poésie.
Les mains de Sokolov jouant Bach « fouillent le clavier à la recherche de la blessure qui guérit tout ». Est-ce celle de la coupure du cordon ombilical, qui jette au contact direct des choses, de la beauté du dehors, qu’avant le corps de la mère barrait ? Alors, la vie poétique, la science des sensations de Pessoa, guérit tout, est envol d’oiseaux libres. Les larmes sont sans raison, devant l’inconnu. Alors, c’est beau un nuage, c’est un vrai sourire. Et écrire, pour Christian Bobin, c’est « très proche de l’enfantin trépignement de la pluie sur une verrière colorée dont une plaque est brisée », comme s’il entendait le souffle, l’âme, la substance « des choses que parfois elles délivrent. Quelque chose chuchote quelque chose ». Et l’écriture « reprend ce chuchotement et l’amplifie ». On dirait un nouveau-né qui s’éveille aux choses, laissé seul avec lui-même, qu’il témoigne de l’instant naissant.
Sokolov est une muraille contre la mort, il supprime les foules, « rallume chaque personne en son secret », fait arriver une source de larmes miraculeuses, la pensée danse nue, sans mots, sans poursuite d’une vaine réponse.
Il témoigne, comme si des humains lui demandaient des leçons de vie : « Ne me demandez pas ce que je fais mais plutôt ce à quoi je demande un secours ». Et le voici en prédécesseur qui demande à un livre, par lequel il se sent être accueilli : raconte-moi une histoire, « c’est pour ne plus mourir, sais-tu. Ramène-moi chez moi ». Et il précise : « Désormais, je crois que le poète est le seul à pouvoir apporter une solution ». Et il présente « la petite troupe des anges qui jouent comme jouent les enfants dans une éternité de vie ». Et l’écriture « est un linge frais tendu sur un fil d’encre ». Et : « J’écris pour vous construire un nid. Il fait trop froid dehors ». « Ecrire est ce genre de service ».
Le jaune des fleurettes tamise son cœur, le materne, ses yeux s’ouvrent à la précieuse démence « de vivre encore une fois, un jour, une heure », ce sont de petites infirmières jaunes. « Tout agit sur nous par esprit ». Esprit poétique. Mais maintenant, cet esprit, dit-il, « est devenu un sous-bois fracassé par des machines dévoreuses ». Et « la société est le haut-mal, sa dangerosité est sans limites ». Mais à l’âme blessée des choses s’offrent, sauveuses, telles les sonates de Haydn, avec la « tendresse de fugue » de leurs notes. Et « Sokolov le temps d’un concert dresse ce genre de cathédrale », lorsqu’il entre en scène, « c’est la délicatesse infinie de la vie », les « tambours de l’amour immortel », le « retour de l’esprit ». Et il disparaît tandis que la dernière note erre encore, il ne veut pas d’applaudissements, il laisse le public avec ce qu’il leur a transmis, ce qu’il a fait vibrer en eux. Nous étions morts, et par sa musique, nous voilà vifs !
Pour Christian Bobin, les parents sont des sentinelles qui, heureusement parfois s’endorment, et alors leur prisonnier peut enjamber la fenêtre, dans la nécessité joyeuse de tout perdre. Les familles, avec leur cordon, étranglent la vie, à quatre ans, il en était furieux ! Ratant ses examens, il se mit à écrire. On dirait que comme le bébé, il s’amuse encore à sauter dans les flaques en pensée, dans l’hôpital où il est en train de mourir, et que le médecin s’étonne qu’il ne soit pas terrassé. Cela fait longtemps qu’il s’étonne que la sensibilité s’est retirée du monde, laissant la place à la précision. Ah ! ce que le monde a fait des poètes ! Lui, il cherche depuis toujours ce peu de lumière dont nous avons la garde. Et il écoute « les tonnes de silence de la mère s’éloignant ». Elle dit : « Ne m’écoute pas, écoute ce silence dont ma voix dans la nuit est la servante irréprochablement imparfaite. Je compte pour rien ma vie et pour tout le poème, si on veut bien entendre par ce mot une rage de douceur ». « L’absolu est ce silence qui suinte des lèvres des mères ». Et il poursuit, pour que nous entendions la séparation comme première expérience : « Lamour donné par une mère tombe comme tombent les paravents et nous laisse seuls face à l’abîme. C’est dans la solitude que nous découvrons notre visage ». Il évoque Rimbaud qui voulait la liberté sans maman, échapper à cette terrible mère. Lui, au contraire, il ne se souvient pas d’avoir été bercé, et grâce à ce manque, « le royaume de la lecture et de l’écriture » lui a été ouvert, « les deux plus grandes forces du monde ».
Il avait surpris son père accueillant avec le sourire quelques fleurs d’acacia, dans sa maison de retraite, s’accrochant à la beauté. Et lui, dans le parc, découvre cette rose, qui est et n’est pas, tel notre visage rendu à nous-mêmes. Christian Bobin, dans sa chambre d’hôpital, demande à Sokolov s’il peut revenir dans ce dernier chapitre qu’il écrit, qu’il laissera, car, écrit-il, « Il faut laisser le champ ouvert entre les vivants et les morts ». Respiration de l’arbre devant la fenêtre. Dans cette chambre, il s’attend lui-même.
Il pense à l’autre amour, qu’il avait reconnu au sourire. « L’amour est une intelligence unique qui s’engendre sans fin ». « Je veux te parler d’une énigme simple. Les aventures du dehors sont si pauvres ». « Il faut donner la vie en écrivant, sinon ce n’est pas la peine ».
Il laisse des témoignages. « Pour écrire un beau livre, il faut juste être au rendez-vous… Un vrai livre doit venir à la vitesse de la lumière ». Un livre qui s’envole, qui va « auprès de qui en a vitalement besoin ».
Il ne veut pas de faire-part de sa mort : il faudra juste dire que le Prisonnier s’est évadé, et c’est tout. Et ne pas oublier : « Les mains s’éclairent quand elles touchent un livre. » Et se fier aux fleurs. Une lettre d’amour anonyme.
Alice Granger



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