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La rose de personne, Paul Celan

Editions points, Joseph Corti, 2002

mardi 27 février 2018 par Alice Granger

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En lisant ce matin ces poèmes de Paul Celan, j’entends un sens nouveau à cette « rose de personne », qui est sans pourquoi mais infiniment plus aussi puisque personne a la certitude qu’elle est à lui, et alors ce tragique qui habite Celan s’ouvre sur autre chose, un vrai commencement, même si l’espoir désespère car la Shoah est terrible. La mort, par exemple en sautant d’un pont de la Seine en 1970, devient la mort à une vie où cette rose était désespérément la rose d’un pourquoi, de quelque chose, de quelqu’un, d’une vie toute installée, écrite, répétée, circonvenue.

Lorsque la rose de personne prend tout son sens, sa liberté intérieure, audace de rébellion par rapport au confort conformiste, alors comme il a une chance inouïe ce poète qui peut dire : « AVEC TOUTES LES PENSEES je suis sorti / hors du monde : tu étais là, / toi, ma silencieuse, mon ouverte, et - / tu nous reçus. » Au moment où tout est mort d’une vie d’avant, au comble d’une monstruosité, tout s’éveille et commence juste parce qu’une rose soudain est de personne. Alors, constate le poète, « Sans peine, / ton sein s’est ouvert, paisible, / un souffle est monté dans l’éther, / et ce qui s’est nué, n’était-ce pas, / n’était-ce pas une forme, et sortie de nous, / n’était-ce pas / pour ainsi dire un nom ? ».

D’autres fois, le poète désespéré ne perçoit pas de rose de personne. « Une perditure étrangère / avait pris corps, tu avais / failli / vivre. » (Odeurs d’automne, muettes).

Mais, dans « Gel, Eden », il espère pourtant. « Le gel ressuscitera / avant que l’heure se ferme. »

Car, dans « Psaume », il s’agit de printemps, de toujours fleurir, de la pulsion de vie en sortant de l’hiver. « Un rien / nous étions, nous sommes, nous / resterons, en fleur : / la rose de rien, de / personne. » Ce rythme, de l’hiver au printemps, pulsion de mort et pulsion de vie, sans circonvention. Ossip Mandelstam qui ressuscite aussi par la force d’une autre vie des poètes. Dans « Chimique », il évoque les camps, « Tous ces noms, brûlés ». Mais surtout « Toi, autrefois. / Toi avec le bourgeon / pâle, ouvert par la morsure. Toi dans le flot de vin. » Une vie singulière compte, laisse des traces, sinon la vie elle-même n’a plus aucun sens, s’éteint dans les fumées de l’abjection. Voir dans les fours de la jouissance de masse…

« Mais, / mais il se cabre, l’arbre. Lui, / lui aussi, / se dresse contre / la peste. » Contre le racisme, contre la Shoah, contre l’extermination massive des humains. La rose de personne, c’est la vie qui est belle pour rien, libre, inventive, audacieuse, inespérée. Les fours peuvent aussi s’entendre comme le pousse-à-jouir de masse qui nous enlève la liberté, qui nous anticipe, qui nous circonvient, qui nous fait être la rose d’un pourquoi tellement intéressé, rentable, confortable, installé, répétitif.

Et alors, « L’arbre-aux-lueurs nageait. »

Et : « alors que je n’étais pas là, / alors que tu arpentais / seule, le champ ». A propos de la race décimée, mais, aussi bien, de la rose de personne. La rose de personne n’évoque-t-elle pas le ventre qui, après la naissance, n’a plus le sens d’une matrice réintégrable ? Mais le sens d’une hospitalité qui se rythme par le fait que la rose soit à personne, sans pourquoi, juste pour la beauté de la vie. « ce sol / à fruits aussi est béant, / ce / tombe-en-bas, / l’une des couronnes de la / fleur sauvage. » De la rose à la fleur sauvage, qui reste à personne.

Dans « Sibérien » : « A travers les champs de décombres, ici, /… Je suis couché là et te parle, / un doigt / écorché vif. »

Dans « Anabase » : « Ecrite étroite entre des murs, / impraticable-vraie, / cette / montée et retour / dans l’avenir clair-cœur. » , « beaux comme secondes, bondissants, / les reflets du souffle - : sons / de la cloche lumineuse… »

« une âme / que chiffrait / une âme ».

« A Brest, face aux cercles de flammes, / sous la tente où bondissait le tigre, / j’ai entendu, finitude, ton chant, / et je t’ai vu, Mandelstam ». « Perdu était Non-perdu, / le cœur une place forte. »

Ah, comme ça me dit quelque chose, ce lieu natal, qui, moi, ne m’a jamais prise au piège ! Dans le poème « Kermorvan » : « petite étoile de centaurée, / aulne, hêtre, et toi, fougère : / avec vous, proches, je vais loin, - / lieu natal, tu nous prends au piège. »

« Oh quand refleuriront, oh roses, vos septembres ? »

La rose de personne, de Paul Celan, s’entend aussi comme étant celle de personne ! Elle est bien à quelqu’un, mais c’est personne. N’étant pas pleine, pas occupée, pas colonisée, bref pas en gestation éternelle, pas en fonction matricielle fermée, elle est donc ouverte à la vie, personne étant la vie en train de se vivre, la vie jamais arrêtée dans une impasse. Pessoa, dont le nom veut dire « Personne » l’espérait-il, l’imaginait-il, dans sa vie intérieure si riche ? personne : je serai ce que je serai. Personne : s’échapper dans la vie. Rester intérieurement libre. Luxe de temps s’ouvrant en espace fleuri. Personne sait que la rose sans pourquoi est à lui ! Personne sait, et non pas personne ne sait !

Quel beau matin, celui qui commence avec Paul Celan !

Alice Granger Guitard



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