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Comme le vent dans les arbres - Denis Emorine, Giuliano Ladolfi

poèmes à Natacha Rostova, traduits en italien par Giuliano Ladolfi - Giuliano Ladolfi Editore

lundi 11 mars 2024 par Françoise Urban-Menninger

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Dans toute l’oeuvre de Denis Emorine, immense poète, traduit en plusieurs langues, l’on reconnaît et l’on entend cette musique de fond qui prend sa source dans l’enfance mais aussi dans des alliances parfois inconscientes avec ceux qui ne sont plus mais qui continuent à parler en nous. Dans une éclairante préface, Igor Zourine évoque l’histoire personnelle du poète qui s’inscrit dans les drames et la trame de l’Histoire avec un grand H.

Par son ascendance russe du côté paternel, la tragédie de la perte de sa mère, figée pour l’éternité dans sa beauté envoûtante, le poète a partie liée avec le coeur battant d’une "Russie, jamais nommée", mais désignée comme "le grand pays glacé", nous explique le préfacier. C’est le lieu d’où surgissent des angoisses et des peurs "transgénérationnelles" comme les qualifie le psychanalyste et psychiatre Daniel Lemler.
L’anhédonie, qui en résulte dans les écrits de Denis Emorine, traverse son oeuvre en diffusant une plainte mortifère où le moi est en prise avec l’ombre à la fois personnelle et collective. Henri Meschonnic affirmait que "l’obscur travaille en nous" et nul doute que cet "obscur", non seulement, travaille chez le poète mais il devient, paradoxalement, le corps même de son texte. "Je me suis égaré/ dans le pays des mitrailleuses/ qui faisait pleurer mon père/ un jour de fissure sur le marbre des jours/ je déchirais des feuilles blanches par milliers/ pour exister".
Selon Igor Zourine, c’est dans une trilogie poétique que l’auteur, convoque les trois femmes de sa vie, sa mère adorée, disparue tragiquement, son épouse légitime et Natacha Rostova, la dédicataire imaginaire de ce recueil qui symbolise l’amour de la culture slave mais aussi ce "pays des mitrailleuses" qui met en joue l’Occident.
Car l’Histoire ne cesse de se répéter et Denis Emorine de poursuivre "je voudrais encore aimer/ le pays des mitrailleuses/ en attendant la neige/ qui recouvrira ma poésie".
Mais tel un écho, à la fois proche et lointain, c’est la mort qui sonne l’hallali dans ces vers d’une beauté terrifiante "Quelque part/ entre toi et moi/ la poésie est morte/ sous les coups des bourreaux". Et l’écrivain d’aller jusqu’à douter de la puissance du verbe "Mes doigts me font mal/ à force d’écrire pour rien". On a envie de lui répondre que ce livre qui nous mène au bord de l’abîme se confond avec le cri universel qui traverse notre nuit. Ne faut-il pas écrire, encore et encore, pour dénoncer l’horreur barbare de cette "mort qui vient de l’Est" et d’où le mal se propage ?
Cette poésie des bords de l’infini entre par l’histoire intime du poète dans l’Histoire telle une force de résistance, à l’instar des poétesses russes qui, pour marquer leur opposition au pouvoir, usent de leur poésie comme d’une arme sans blessure en rédigeant, comme le narrait Marina Skalova dans une conférence, des messages de paix sur des billets de banque ou en arborant dans leur tenue vestimentaire les couleurs de l’Ukraine...
Non, la poésie n’est pas morte, et malgré lui, Denis Emorine en témoigne car dans ce recueil, l’on appréhende l’un de nos derniers espaces de liberté qui transcende la mort charnelle de l’auteur dans le corps même du texte où il renaît dans la luminescence de chaque vers en refaisant danser entre les lignes l’image magnifiée de sa mère et celle de son père éternisée "dans la forêt des bouleaux"... Et même si Denis Emorine place en exergue de son livre ces deux vers "Aucun livre ne me permettra/ d’abolir la frontière des mots" , il nous est permis, à nous lecteurs d’en douter car même s’il a "égaré le petit garçon/ entre les pages du même livre", ce recueil nous fait signe entre les lignes et nous invite, de l’autre côté des mots, à réenchanter ce qu’il nous reste d’âme par-delà notre désespérance.

Françoise Urban-Menninger



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